Aller au contenu

Hommage à G. Salamon

Georges Salamon nous a quittés le 10 octobre 2015. Il avait 84 ans. Né à Montpellier d’un père russe et d’une mère polonaise d’ascendance ashkénaze, il garda tout au long de sa vie, l’esprit d’aventure d’une famille apatride sachant tirer des vicissitudes de l’histoire une exceptionnelle ouverture d’esprit et capacité de rebondissement. Docteur en médecine de la faculté d’Aix-Marseille en1958, il fut, sous l’impulsion de ses maîtres Hermann Fischgold, Henri Gastaut et Robert Naquet, successivement diplômé de radiologie en 1962 et de neurologie en 1965. Cette double appartenance à l’imagerie et aux neurosciences inspira l’impulsion qu’il donna à la neuroradiologie et fut le pivot d’une prestigieuse carrière, attachée à maintenir un pont entre ces diverses disciplines. À ce propos, il est intéressant de constater qu’avant de rejoindre l’hôpital de la Timone à Marseille, d’abord comme Professeur associé en 1968 puis comme chef du service de neuroradiologie en 1972, Georges exerça en libéral avec Jacques Padovaniet Jean-François Huguet. C’est ce trio de radiologues de la rue Sylvabelle qui constitua le noyau de toute une génération de brillants hospitalo-universitaires en neuroradiologie, radiopédiatrie et vasculaire.

C’est d’abord la neuro-anatomie qui passionne cet éclectique. Entre 1965 et 1970, les thèses sur la vascularisation cérébrale de ses élèves, A. Burou, P. Michotey, G. Guidicelli, P. Farnarier, et W. Pellet représentent la « bible » pour toute une génération de neuroradiologues et de neurochirurgiens, et servent de base à l’angiographie thérapeutique qui verra le jour quelques années plus tard. Ses travaux culminent avec la parution de l’Atlas of Arteries of the Human Brain en1974, de Radiologic Anatomy of the Brain en collaboration avec Y.P. Huang en 1978 et de Vascularization and Cerebral Circulation avec G. Lazorthes et A. Gouazé la même année. Il partageait cette passion de l’anatomie du cerveau avec Jean Talairach, neurochirurgien à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, père de la chirurgie stéréotaxique. Une amitié profonde, un respect et une estime réciproques liaient ces deux êtres dans une fructueuse symbiose. Les coupes microradiographiques de cerveaux injectés qui sortaient alors du laboratoire de l’unité Inserm U6 — qu’il créa en 1972 — fascinaient les jeunes neuroradiologues que nous étions, attentifs et fidèles aux cours de neuroradiologie qu’il organisait entre 1965 et 1970 à Marseille avec le Professeur Jacques Legré. Que de vocations Georges Salamon n’a-t-il pas suscitées en ces années cruciales… En un temps où une nouvelle technique d’imagerie, le « CT scanner »,voyait le jour dans un laboratoire de la banlieue de Londres, et se répandait comme une traînée de poudre outre-Atlantique, laissant la France spectatrice d’une technique qui lui échappait, le diagnostic d’hématome extradural ou de tumeur relevant encore de l’angiographie cérébrale ou de l’encéphalographie gazeuse fractionnée. Le bon coté de la médaille fut l’émergence en France d’une nouvelle génération de neuroradiologues vasculaires sous la double tutelle de Georges Salamon et de René Djindjian. Tous deux sont à l’origine de la neuroradiologie interventionnelle française. Les coupes microradiographiques qui sortaient de son unité Inserm firent rapidement le tour du monde et les premiers intéressés furent… les Américains. Ainsi s’établit entre les années 1970 et 1980 entre Marseille et New-York, Boston, San Francisco, Chicago, Milwaukee, Los Angeles ou Philadelphie, mais aussi Stockholm, Milan ou Tokyo, une noria de residentsfellows et full professors passionnés par ses recherches. Cela fonctionna également en sens inverse et nombre de jeunes neuroradiologues français franchirent à leur tour l’Atlantique pour parfaire leur formation… ou apporter leur savoir-faire angiographique. La neuro-anatomie fut le tremplin idéal pour le développement de l’imagerie en coupes, scanner et IRM (dont les premières applications furent cérébrales). L’école marseillaise y fut au premier plan. Son élève, Charles Raybaud, fut un des pionniers de la neuroradiologie pédiatrique et lui succéda comme chef de service à La Timone. Comme Georges, Charles devait à son tour franchir l’Atlantique et prendre en charge le service de neuroradiologie du Hospital for Sick Children à Toronto, en digne successeur du regretté Derek Harwood-Nash. Avec l’IRM fonctionnelle apparut très vite la possibilité d’approcher les fonctions cognitives. Il n’en fallait pas plus pour que cet infatigable curieux se rapprochât d’André Syrota, chef du service hospitalier Frédéric-Joliot Curie du CEA d’Orsay où Georges fut consultant de 1988 à 1995. Très tôt, dès les années 1970, Georges Salamon ancra la spécialité dans les structures officielles, nationales et internationales : il fut membre fondateur (1970) et président de la SFNR, de l’European Society of Neuroradiology (ESNR) en1972, président de la SFR en 1995, membre fondateur de la World Federation of Neurology en 1997. La reconnaissance internationale en fut le juste retour. En 1984, il fut nommé honorary fellow de l’American College of Radiology (ACR), honorary member en 1994 du Radiological Society of North America (RSNA), en 1995 de l’ESNR, et en 2000 de la Société japonaise de radiologie. Travailleur infatigable il aurait pu, à la retraite, satisfaire d’autres passions comme la navigation à voile sur « Chipie », son bateau sur lequel il avait l’habitude de convier ses nombreux amis, ou l’art contemporain et la peinture (il fut, de 1989 à 1995, président de l’Association des musées de Marseille). La visite avec lui de la Vielle Charité à Marseille ou de la Fondation Paul Getty à Los Angeles était un enchantement… Mais c’était mal connaître ce navigateur intrépide, capable à 65 ans de brûler ses vaisseaux pour remettre sa vie en jeu. La rencontre avec Noriko avait d’ores et déjà scellé son destin outre-Atlantique et c’est ensemble qu’ils s’installèrent aux États-Unis. Son enthousiasme raisonné pour les nouvelles techniques d’imagerie, ses compétences en Neurosciences, le poussèrent à Chicago d’abord comme research professor à la Northwestern University avec Michael Huckman et Eric Russell de 1996 à 2002, puis à Los Angeles comme visiting researcher à UCLA avec Dieter Enzmann. Il avait plaisir à retourner régulièrement en France pour voir les siens, mais aussi pour participer encore à Val d’Isère au Séminaire « Scanner, IRM et Ultrasons » qu’il avait créé dans les années 1970 et qu’il voyait grandir avec fierté. C’était aussi l’occasion de faire encore tout récemment, à plus de 80 ans, quelques belles descentes avec son guide fétiche, le fidèle Buddy. Une carrière magnifique : chercheur passionné, découvreur avisé, conférencier galvanisant son auditoire, ouvert à toutes formes de l’esprit, aimant la peinture, la mer, la vie… C’était Georges. À sa femme Noriko, ses soeurs Marguerite et Yvonne, son frère Roger, ses enfants Christophe, Marie-Hélène et Ivan, ses huit petits-enfants, la Société française de neuroradiologie présente ses condoléances les plus sincères. C’est un grand qui s’en va. Nous ne l’oublierons pas.

C. Manelfe
Université Paul-Sabatier,
118, route de Narbonne,
31062 Toulouse, France